Formes de pèlerinages (pirc’hirindedoù en breton) principalement rencontrées en Bretagne, les pardons (pardonioù) y prennent de multiples formes processionnelles, telles les assemblées (bodadenn) et troménies (trovenioù). Certaines processions peuvent avoir un parcours en mer (pardon de la mer, des pêcheurs…) ou être circulaire (troménie). Événements pluriels et polymorphes, ces fêtes religieuses allient aspects cultuels et culturels, où le sacré et le profane s’entremêlent.
Chaque année, les nombreux pardons se ressemblent en plusieurs points : dédiés à un(e) saint(e), ils s’organisent à une date fixée à l’avance (souvent le dimanche, parfois à une date fixe, quel que soit le jour de la semaine) dans un lieu déterminé (une chapelle, une église…) et ils donnent lieu, le plus souvent, à une procession jusqu’à une fontaine. La majorité des pardons s’organisent entre Pâques et la Toussaint (le 15-Août étant la période culminante) ; toutefois, il subsiste, bien que plus rares, des pardons d’hiver. S’il existe une multitude de pardons, chacun avec ses spécificités propres, on retrouve souvent les mêmes étapes dans leur organisation, tous nécessitant la mobilisation d’un grand nombre de paroissiens et de bénévoles.
● Les préparatifs du pardon
Si les pardons ont majoritairement lieu sur une journée, leur organisation nécessite la mobilisation des paroissiens et bénévoles quelques jours en amont. Les réseaux d’interconnaissances jouent un rôle certain pour nourrir le groupe de bénévoles et une véritable « économie de la débrouille » est souvent mise en place.
Préparation de la messe
Les membres de l’équipe paroissiale et les bénévoles participent à la préparation de la liturgie (lectures, cantiques…) pour la messe qui sera célébrée le jour du pardon. Ils choisissent les textes qui seront lus ainsi que les chants, et impriment les feuillets distribués ou disposés sur les bancs de la chapelle ou de l’église.
Préparation de la chapelle et de la fontaine
Quelques jours avant le pardon, les bénévoles se réunissent pour nettoyer et préparer la chapelle. Beaucoup d’entre elles n’étant quasiment pas ouvertes le reste de l’année, un grand ménage s’impose : les bénévoles aèrent, balaient et dépoussièrent les lieux. Les bancs sont installés pour la cérémonie religieuse, s’ils ne sont pas déjà en place. La majorité des chapelles étant propriété de la commune, l’entretien extérieur des abords de ces dernières est souvent assuré par les équipes municipales. Des bénévoles tondent, débroussaillent et préparent les alentours de l’édifice. Le nettoyage du chemin de la procession est aussi une étape importante, comme la préparation du lieu d’arrivée de la procession. Lorsqu’il s’agit d’une fontaine, celle-ci est curée, nettoyée et fleurie. Toute la chapelle est fleurie de bouquets réalisés par les bénévoles [ill. 1]. Rares sont ceux qui achètent les fleurs chez un fleuriste ; la plupart du temps, les bouquets sont réalisés par des femmes avec les fleurs provenant des jardins des bénévoles ou des habitants du quartier. Le plus souvent, il faut aller chercher les bannières et autres objets processionnels [ill. 2], pas toujours stockés dans la chapelle mais dans l’église paroissiale.
Préparation des festivités
Concernant la partie profane, les festivités proposées, quand le nombre de bénévoles le permet, relèvent d’une grande diversité, chacune nécessitant ses propres préparatifs et une certaine logistique. La première étape est d’installer chapiteaux et barnums [ill. 3] pour la buvette, les cuisines, le repas… ainsi que les toilettes. Certains comités de chapelles en sont propriétaires, sinon ils sont loués ou empruntés auprès d’autres comités ou encore mis à disposition par la commune. Les toilettes sont, quant à elles, la plupart du temps louées auprès d’entreprises locales. Quand un fest-deiz, un fest-noz ou des concerts sont proposés, il faut également installer la scène et le parquet pour les danseurs.
L’ensemble de ces aménagements nécessite également l’installation d’arrivées d’eau et d’un réseau électrique (alimentation des réfrigérateurs, scène…). Quand un repas est organisé, il s’agit, quelques jours avant, d’acheter les différents aliments qui le composeront. Ce dernier est souvent le même d’une année sur l’autre (patates au lard, potée, dinde/purée, fricot, crêpes…). Beaucoup d’organisateurs essayent de privilégier les produits locaux. Quasiment tous les repas sont préparés par les bénévoles (ils peuvent parfois faire appel à un traiteur pour le repas ou encore à un boulanger-pâtissier pour les desserts). La veille, les légumes sont épluchés, les entrées préparées… Les achats pour alimenter la buvette s’organisent également quelques jours avant. Quand des événements ludiques sont proposés, toute une série d’installations est à préparer : nettoyage des allées s’il y a un concours de boules, balisage du circuit s’il y a une course (à pied, à vélo…), installation des stands, etc.
● Le jour du pardon
Le jour du pardon, « chacun sait ce qu’il a à faire ! ». Les bénévoles sont à pied d’œuvre et la répartition des tâches participe au bon fonctionnement du pardon.
Les pratiques sacrées
Se rendre au pardon
Le fait de se rendre à un pardon, de manière individuelle ou en groupe processionnaire, est un rituel qui rythmait et rythme encore la vie locale. Cette démarche était en soi, dans le passé surtout, un rite pénitentiel, qui permet d’obtenir une grâce, une indulgence ou une guérison particulière.
La célébration religieuse
Les pardons comportent au moins une célébration religieuse, qui, dans la majorité des cas, est une célébration eucharistique. Faute de prêtre disponible, il peut s’agir parfois d’une célébration de la Parole. Certains pardons organisent également des vêpres en milieu d’après-midi. La grand-messe organisée est, comme les vêpres, un temps de prière collective, un rassemblement de l’Église locale pour prier le ou la saint(e) de tel ou tel pardon. Durant cette journée, en-dehors de ces offices, chacun est invité en outre à un moment de recueillement individuel à la chapelle, en déposant un cierge par exemple. La dévotion populaire implique que l’on dépose un ou plusieurs cierges, avec diverses intentions associées, au pied du saint ou de la sainte célébré(e).
Les signes de croix et génuflexions, gestes rituels de tradition lorsque l’on entre dans l’édifice et durant les offices, ne sont pas propres aux pardons et aux troménies. En revanche, le toucher ou le baiser du reliquaire fait partie des formes de vénération du saint.
La procession
Les processions des pardons, qui ont lieu habituellement après la messe, ne doivent pas être confondues avec le fait de se rendre au pardon (rite pénitentiel). Ces processions sont une action de grâces et non une préparation à la messe. Le cheminement des pèlerins à pied vers l’église ou vers la chapelle, qui peuvent créer une forme de cortège, ne doit pas être confondu avec cette procession d’action de grâces, à l’issue de la messe, voire après les vêpres, l’après-midi, si elles sont encore organisées. De nos jours, certaines processions sont organisées avant la cérémonie religieuse.
Les processions ont un itinéraire de circumambulation pour certains pardons, mais la majorité vont de la chapelle ou de l’église à la fontaine. Les processions doivent se faire dans le sens dextrogyre, c’est-à-dire dans le sens des aiguilles d’une montre. Elles parcourent au minimum un tour et normalement trois tours, en sortant habituellement par le porche ouest de l’édifice. Avant le retour dans le sanctuaire, les pardonneurs sont invités à passer sous les reliques, dans un rituel de protection [ill. 4].
Plusieurs supports matériels font généralement partie de la procession : dans l’ordre, une croix de procession, la bannière du saint célébré, des bannières et des statues du saint célébré ou d’autres saints, les reliques du saint célébré et un ou plusieurs ex-voto (maquettes de bateaux, par exemple), qui témoignant de la reconnaissance des fidèles pour une grâce accordée. Lors de ces processions, on sort la statue du saint local et son reliquaire éventuel, porté par plusieurs personnes. Les bannières à l’effigie du saint, mais aussi celles d’autres saints de la chapelle ou des paroisses avoisinantes sont portées, au moins par une personne, et, pour les plus lourdes, par un homme et deux femmes. Ces dernières tiennent les cordons qui pendent de chaque côté de la bannière et ont pour vocation de retenir la bannière prise par le vent.
Il arrive, comme à Sainte-Anne-la-Palud (com. Plonévez-Porzay, Finistère), que la procession s’arrête pour une bénédiction de la terre et /ou de la mer, avant de reprendre sa marche. Dans la majeure partie des cas, les processions vont jusqu’à la fontaine et au feu de joie (tantad, en breton).
En processionnant, on chante la litanie des saints, des cantiques dédiés au saint local (souvent en breton) et d’autres cantiques. La procession est parfois ouverte par un couple de sonneurs (biniou-bombarde, par exemple).
La bénédiction de la fontaine
En arrivant à la fontaine, le célébrant bénit l’eau, puis bénit les participants. Des bénédictions spécifiques peuvent avoir lieu en fonction du saint et du pardon : bénédiction des animaux, des chevaux, des motos, des tracteurs, des surfeurs, etc. Saint Éloi est ainsi le grand guérisseur des chevaux, mais parfois sont invoqués, pour le même cas, saint Houarno ou saint Guy, pour ne citer qu’eux. Des variantes sont constatées suivant les lieux et les habitudes, ainsi que des traditions particulières, comme celle d’orner les animaux.
À la fontaine, il était d’usage d’immerger le pied de la hampe de la bannière ou de la croix de procession dans le bassin, voire d’immerger les reliques elles-mêmes, à l’instar du chef de saint Clair à Réguiny (Morbihan). Il s’agit là d’un rite de lustration (littéralement, le feu dans l’eau). Concernant les rites équestres peuvent être mentionnés des courses, des sauts par-dessus la fontaine, des immersions dans la fontaine avec chevaux et cavaliers, des aspersions d’eau sur les parties génitales des chevaux et dans les oreilles (rite de fécondité).
Avant la procession, les bannières voisines doivent se placer en ligne et sont saluées par la bannière du patron de la chapelle, suivant le rite dit du « salut des bannières ». Lors de certains grands pardons de sanctuaires ou lors de fêtes particulières, deux processions peuvent aussi se croiser et les deux paroisses, se saluer en inclinant leurs bannières respectives [ill. 5].
Ce salut des bannières a été souvent représenté par les peintres ou les photographes, car il constitue un mouvement spectaculaire et une manœuvre délicate, autant pour le porteur que pour la bannière elle-même.
Les bannières peuvent s’incliner dans d’autres circonstances encore, pour entrer dans l’église à la fin de la procession, tout en restant déployées, ou bien par signe de respect devant une insigne relique. L’exemple le plus fameux de nos jours est celui de Tréguier (Côtes-d’Armor), où elles sont inclinées devant la relique de saint Yves [ill. 6], un moment très attendu de nombreux photographes. Le geste est répété quelques jours avant.
Pendant tout le temps du pardon, les reliques portées en procession sont laissées à la vénération des pardonneurs, qui touchent ou embrassent le reliquaire en priant. Des grâces particulières sont données à ceux qui effectuent ce geste ancien selon un cérémonial précis. D’autres gestes peuvent être faits comme celui de passer sous le reliquaire ou sous la statue, comme à Tréguier ou à Sainte Anne-la-Palud. On observe aussi le baiser des reliques ou de la statue du saint.
Le feu de joie
Selon les pardons, un feu de joie (tantad) est organisé [ill. 7]. Il peut être le lieu de destination de la procession ou clôturer la partie religieuse du pardon. Le feu de joie est une transition avec les réjouissances profanes. Il est monté par des fagots de bois très secs agencés de manière spécifique. On peut y accrocher des pétards et, en certains lieux, des petits drapeaux. En fonction des lieux (mais cela ne se fait plus beaucoup), une effigie était placée en haut du mat et était brûlée avec le tout, une effigie en l’honneur du saint dont les pardonneurs se disputaient les morceaux calcinés comme un porte-bonheur à ramener chez soi. Avant de mettre le feu, le tantad est béni par le célébrant avec l’eau de la fontaine.
Le feu de joie peut également être allumé avec un ange pyrophore (le feu du ciel descend alors littéralement sur terre). C’est encore le cas notamment au pardon de Quelven à Guern (Morbihan) [Ill. 8], au pardon de Sainte-Noyale à Noyal-Pontivy (Morbihan), au pardon de Cléguérec (Morbihan), au pardon de Crénénan à Ploërdut (Morbihan) ou encore au pardon de l’Isle à Goudelin (Côtes d’Armor). Le tantad peut également être allumé avec une colombe comme au pardon de Locjean à Riantec (Morbihan).
De manière générale, il existe de nombreuses variantes et spécificités au sein du territoire breton, selon les « pays » ou les territoires du culte de tel ou tel saint patron. Elles se mêlent à des croyances populaires alliant la foi et le miraculeux à la superstition comme, par exemple, frotter un morceau de pain contre une statue, plonger une jambe dans l’eau de la fontaine, jeter une aiguille dans l’eau… Mais aujourd’hui, ces rites tendent, peu à peu, à ne plus être pratiqués.
Repas et festivités
Quand le sacré laisse place au profane, les festivités s’organisent. De manière générale, l’ensemble des festivités proposées, quand elles sont payantes, représentent la principale ressource économique des comités de chapelles organisateurs.
Quand il n’y a pas de repas organisé, la plupart du temps, un verre de l’amitié (apéritif, café, gâteaux, crêpes) est organisé, offert par le comité de la chapelle, le comité de la paroisse ou parfois même la municipalité. Sinon, une buvette est installée [ill. 9].
Pour les pardons qui bénéficient d’un nombre suffisant de bénévoles, un repas est organisé, certains avec plusieurs centaines de couverts. Le temps de la célébration religieuse permet aux bénévoles de le préparer. La buvette est approvisionnée et les boissons mises au frais. En cuisine, les bénévoles cuisent viandes et légumes, coupent le pain, dressent les tables… En 2019, le prix des repas varie entre 10 et 15 euros [ill. 10] et le service a lieu la plupart du temps à table.
Le pardon représente parfois un ensemble culturel, au sein duquel d’autres éléments du patrimoine culturel immatériel sont présents : fest-deiz/fest-noz [ill. 11], chant, jeux traditionnels…
Différents types d’animations peuvent être organisées en plus des pratiques festives et rituelles évoquées : manifestations sportives ou ludiques (boules, quilles, palets, pétanque, cyclisme…) [ill. 12], manifestations culturelles (concerts, défilés de cercles celtiques, défilés de tracteurs, danses, visites, expositions…), fest-deiz ou fest-noz, kermesses, loteries ou tombolas, marchands ambulants, fêtes foraines, manèges, brocantes ou encore feux d’artifice.
La plupart du temps, les activités sont proposées gratuitement, à l’exception des concours, qui souvent nécessitent le règlement d’une inscription. Durant l’après-midi, entre deux activités, certains organisateurs proposent la vente de crêpes et/ou gâteaux. Un repas de crêpes peut également être proposé le soir et les festivités se poursuivre jusque tard dans la nuit.
● Après le pardon
Une fois le pardon terminé et les festivités achevées, les bénévoles doivent encore tout ranger. Souvent le démontage des stands et chapiteaux a lieu le lendemain du pardon. Selon les habitudes de chacun, quelques jours, semaines ou mois après le pardon, un repas des bénévoles est organisé afin de remercier tout le monde. C’est souvent l’occasion de faire le bilan (financier et de fréquentation) du pardon, de revenir sur l’édition (« ce qui a fonctionné », « ce qui n’a pas fonctionné ») et de préparer l’édition suivante.