Plusieurs termes sont actuellement utilisés pour désigner les veillées de café dont nous parlons : veillées, filouasées, vesprées, ou encore assemblées, termes qui peuvent être suivis ou non des précisions « chantée », « contée », ou les deux, la désignation la plus fréquente étant celle de « Veillée chantée ». Ces rassemblements ont lieu le plus souvent le soir, mais peuvent également avoir lieu l’après‐midi (vêprées).
Ils ont en commun cinq points essentiels :
‐ la régularité : la plupart de ces veillées ont lieu une fois par mois à date fixe et dans un même lieu (par exemple le premier vendredi de chaque mois, ou le troisième, etc.) Certaines veillées n’ont lieu que quatre à cinq fois dans l’année. Dans tous les cas, une petite communication (flyers, internet) effectuée en début de saison permet à toutes les personnes intéressées de connaître les dates à l’avance.
‐ l’absence de programmation : la raison d’être de ces veillées est de donner une occasion de pratique à tous ceux qui sont porteurs de répertoire, d’une manière ou d’une autre, et qui ne trouvent pas d’occasion de le pratiquer, de le partager, de le transmettre. Même s’il arrive que des conteurs ou chanteurs relativement réputés participent à ces assemblées, aucun nom n’est jamais mis en avant, ni au préalable pour annoncer la soirée, ni pendant celle‐ci.
‐ l’absence de scène et de micro : les participants s’assoient autour d’une ou de quelques tables, formant un grand cercle. Il n’y a ni scène ni micro, donc aucun lieu désigné pour le chanteur ou le conteur. De ce fait, il n’y a matériellement plus de distinction entre chanteurs / conteurs et public. Il n’y a pas non plus d’ordre de passage préétabli ni d’inscription. Chacun peut se proposer librement pour chanter ou conter, quand il le souhaite.
‐ le profil des organisateurs : les initiateurs de ces soirées sont le plus souvent des acteurs qui participent d’une façon ou d’une autre à la collecte et à la transmission du patrimoine oral.
‐ le répertoire : ces assemblées sont clairement et ouvertement consacrées à la pratique des répertoires de tradition orale.
Déroulement : ces assemblées durent généralement de 21h à minuit ou 1h, parfois plus, ou de 15h à 19h ou 20h environ lorsqu’elles ont lieu l’après‐midi. Lors de certains événements exceptionnels, cette durée peut aller jusqu’à 12 ou même 24h (Les « 24 heures du Chant » de Bovel). Le principe établi et admis par tous est que chacun est libre de s’exprimer quand il le souhaite, et que le chant ou la parole « tournent ». Sans qu’il soit besoin de le dire, chacun sent qu’il serait mal venu d’accaparer la parole ou le chant trop longtemps, et même les chanteurs ou conteurs confirmés, capables à eux seuls d’occuper une soirée entière, ne le font pas, mais laissent au contraire la place bien volontiers, après avoir pris leur tour, et encouragent les autres, y compris des débutants. Selon l’ambiance du jour, la prise de parole ou de chant peut se faire de façon tout‐à‐fait spontanée dans certains cas, ou elle peut être discrètement encouragée par l’initiateur de la soirée qui connaît généralement bien les participants et peut inviter l’un ou l’autre à chanter ou conter. Les gens, disposés en rond autour de la table, chantent ou racontent sans se déplacer, restent assis le plus souvent. Une pause a souvent lieu en milieu de soirée.
Participants : Chaque veillées peut rassembler entre 20 et 100 Personnes. On peut distinguer trois catégories parmi les participants de ces assemblées : les porteurs de tradition, qui ont appris leur répertoire par imprégnation familiale ou de voisinage ; les gens qui ont fait le choix de réapprendre ce répertoire et qui fréquentent assidûment les stages et ateliers de chant régulier, et le public local qui vient pour écouter. Comme nous l’avons dit, les initiateurs de ces veillées sont souvent à la fois des collecteurs et des transmetteurs de chant traditionnels, eux‐mêmes chanteurs. Ils se trouvent donc au carrefour, entre les « porteurs de tradition » qu’ils rencontrent lors de leurs collectes et les
« néo‐apprenants » à qui ils transmettent ce qu’ils ont collecté et ce qu’ils pratiquent. Il se trouve que ces deux catégories de personnes sont porteuses de répertoire, aiment chanter, mais n’ont pas d’occasion de pratiquer dans un contexte adapté. Ces veillées permettent donc aux premiers de retrouver une pratique régulière, collective, qu’ils avaient généralement perdue (ce qui leur permet souvent de retrouver encore davantage de répertoire dans leur mémoire, mais aussi de retrouver un style d’exécution plus assuré et plus riche), et aux seconds de faire leurs « armes » et de chanter devant une assemblée de façon régulière, mais aussi de côtoyer des chanteurs confirmés de toutes générations. On peut dire qu’une véritable alchimie se produit dans la rencontre entre ces deux catégories de personnes : les plus anciens sont heureux de pratiquer à nouveau, de transmettre, de voir qu’une nouvelle génération s’intéresse à eux et à la culture qu’ils portent, et les plus jeunes sont enchantés de pouvoir côtoyer ces anciens qu’ils n’auraient souvent jamais osé aller rencontrer chez eux. Notons enfin que la grande majorité des participants de ces veillées appartiennent à l’une de ces deux catégories, et que les personnes qui ne pratiquent pas du tout et viennent seulement pour écouter sont relativement peu nombreuses. À cet égard, on peut dire sans doute que ces assemblées sont d’abord un lieu de pratique, avant d’être un lieu de diffusion, même s’ils restent ouverts à tous. Néanmoins, ce public qui découvre existe, et devient souvent lui‐même acteur, ce qui est facilité par la pratique abondante du chant à répondre.
Le répertoire pratiqué : ces veillées permettent la pratique de tous les types de répertoire chantés et contés issus de la tradition orale. Si cela pouvait être précisé par les organisateurs lors des premières veillées organisées dans certains cas, c’est rapidement devenu inutile car les participants réguliers et passionnés par la pratique de ce répertoire ont rapidement été suffisamment nombreux pour que cela devienne une évidence, et lorsqu’une personne découvre ces veillées et souhaite y participer, elle a rapidement le réflexe et l’envie de s’intéresser au répertoire de tradition orale pour venir participer. Dans le domaine du chant, le chant à danser, qui bénéficie par ailleurs du contexte du fest‐noz pour s’exprimer, est évidemment le moins représenté. Les chants à répondre sont très représentés (chants de table, chants de marche, occasionnellement chants à danser, mais aussi mélodies à répondre, très courantes dans le vannetais gallo). Les mélodies et les complaintes chantées en solo sont également très pratiquées lors de ces veillées. On peut même dire que c’est là une des seules occasions de pratique de ces répertoires, si l’on excepte les concerts et les concours, qui par définition concernent beaucoup moins de monde.