Fidèle au rituel, le prêtre a béni les enfants présents en les faisant traverser le tombeau de saint Trémeur, passage initiatique d’une grande importance dans cette petite paroisse de moins de 200 habitants, où, il y a encore quelques décennies, le prénom de Trémeur était souvent attribué aux nouveau-nés de la commune.
Trémeur viendrait de l’ancien breton trec’h meur (grande victoire). Le cantique raconte son histoire et celle de sa mère, Trefina, sainte éponyme de la commune. Histoire intimement liée à celle de Conomor, seigneur sanguinaire du Centre Bretagne qui décapita femme et fils pour s’assurer un règne sans partage. On y parle de saint Gildas (patron de Laniscat, paroisse voisine) qui ressuscita Trefina et de Trémeur, qui rentra chez lui à pied portant sa propre tête dans les mains.
Et pourtant, pour la première fois cette année, le pardon a bien failli ne pas avoir lieu. En effet, les forces vives en charge de l’organisation se font rares, le désistement d’une seule personne suffisant parfois à signer la fin d’un pardon. C’est ce qui se profilait à Sainte-Tréphine. Cette annonce a succédé de quelques semaines seulement l’enterrement d’une personne chère pour nombre de personnes attachées au pays et à sa culture, Yann Fañch Kemener.
La concomitance des deux événements, a priori sans rapport, a suscité de vives interrogations parmi un petit groupe d’amis qui a accompagné Yann Fañch dans ses derniers instants. Ils se sont accordés pour dire qu’il était dommage que cet événement disparaisse et que si, face à la disparition de leur ami, il fallait accepter leur impuissance, concernant le pardon ils pouvaient peut-être faire quelque chose. Ils ont donc proposé à la paroisse d’apporter leur concours vocal à l’animation de la cérémonie en y chantant les traditionnels cantiques.
Peu d’entre eux étaient habitués des lieux et tous avaient des profils spirituel, idéologique et politique variés parfois même éloignés de la religion.
Il leur semblait important de ne pas laisser s’éteindre ce type de pardon en sachant que les derniers porteurs de mémoires de ces territoires s’éteignent en emportant bien souvent avec eux ce qui constitue le socle des solidarités villageoises et familiales.
Reconnaissant la dimension sociale des traditions du pardon, ils ont tenu à s’y associer. Et, en effet, les gens on pu se rencontrer, se retrouver, échanger pendant l’apéritif proposé par la mairie à l’issue de la cérémonie.
On regrette souvent de ne pas entendre la langue bretonne dans l’espace public, la vie sociale. Ce groupe d’amis, attaché à la langue bretonne, a trouvé intéressant de s’associer à un pardon, un des derniers espaces d’expression vernaculaire du breton, fréquenté en majorité par des personnes âgées, souvent bretonnantes, qui viennent chanter des cantiques dans leur langue maternelle.
Enfin, et peut être surtout, c’était une manière pour eux de montrer que ce qui était important pour Yann Fañch Kemener, trephinois de naissance, était également important pour eux, qu’ils étaient sensibles à sa démarche et avaient la volonté de la perpétuer.
Marc-Antoine Ollivier